SANS CARTE DANS LE LABYRINTHE…

 

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J’ai essayé. Et essayé. Et essayé. Et essayé.

Je suis né à Montréal. À l’adolescence, parce que j’étais maladivement timide et que j’adorais lire, j’ai décidé de devenir écrivain. Le but était de gagner ma vie sans rencontrer personne. J’ai étudié en lettres et j’ai noirci beaucoup de papier, mais je suis demeuré au niveau d’un amateur. Mes histoires ne valaient rien. Malgré mes efforts, je ne réussissais pas à faire coïncider ma vie avec les livres que j’aimais.

À cause d’une rencontre amoureuse, je me suis installé en Suède. Ça ne s’est pas bien passé. Les Suédois ne ressemblaient pas à ce que j’avais imaginé et je ne comprenais rien à leur mentalité. Beaucoup étaient hostiles.

Je rencontrais des gens qui utilisaient mon incompréhension de leur langue pour me ridiculiser ou qui me montraient clairement n’avoir aucun intérêt pour le Canada en général et moi en particulier. Ça me faisait de la peine. Une partie des Suédois sont agréables, mais ils montrent peu leurs émotions. Se lier est difficile.

Le Québec s’est mis à me manquer. En même temps, j’ai fait des efforts gigantesques pour m’intégrer, en commençant pas apprendre le suédois et l’histoire nationale.

Je me suis fait des amis, j’ai trouvé un emploi. J’ai célébré leurs fêtes, vu leurs films, partagé leur nourriture, vécu leurs traditions. J’ai passé des années sans parler français. On comprend vraiment un pays en vivant comme ses habitants, parmi eux. C’est la seule manière.

Parlant leur langue, j’ai pu lire leurs écrivains dans le texte, ainsi qu’un livre d’enseignements sur l’écriture, le merveilleux Författarskolan, malheureusement non traduit. Ce n’est pas pour rien que les Suédois sont bons en romans policiers. Leurs écrivains sont beaucoup plus techniques que nous.

J’ai réussi à changer assez pour m’intégrer, mais pas à être heureux. Certaines valeurs nationales m’exaspéraient. Se vanter d’être le meilleur pays de la planète tout en ignorant à peu près tout des voisins me paraissait, et me parait toujours, ridicule. En même temps, j’adore d’autres aspects de la Suède.

De retour au Québec, j’ai continué à écrire. J’étais presque aussi mauvais qu’avant. Au niveau psychologique, je n’étais plus le même. La souffrance d’avoir si longtemps été un étranger et mes efforts pour m’adapter m’avaient changé et je ne l’ai réalisé qu’en revenant ici.

De manuscrit en manuscrit, mon écriture a changé elle aussi. Je me suis trouvé, pourrait-on dire.  Un jour, je suis parvenu à un autre niveau et mes romans sont devenus prenants. Certains lecteurs se sont enthousiasmés. Et moi, pendant des semaines et des mois, j’ai nagé dans la rivière du bonheur.

Mon thème principal: l’étrange et le merveilleux nous entourent mais nous devons ouvrir les yeux pour les voir. La plupart des gens vivent comme des automates et ne voient que la grisaille. Mes romans partent d’une situation ordinaire qui devient de plus en plus surprenante. Mon nouveau roman, L’homme qui ne pouvait pas dormir, commence avec un professeur à la vie banale qui souffre d’insomnie inexplicable. Et tout dérape.

La beauté est dans le regard, dit-on. La richesse de la vie aussi.

Un écrivain doit avoir du talent, avoir vécu, aimer la vie, et doit maîtriser les techniques de son art. Sans cette maîtrise, ses romans vont s’effondrer. Excellents pendant quelques pages, médiocres ensuite. Avouez qu’on en lit souvent des comme ça.

Le plus important est la vérité, la sincérité des mots, l’authenticité. Si mon livre n’est pas un plaisir, j’ai raté mon coup. Mais s’il ne reste pas en vous après en avoir fini la lecture, si vous n’y pensez pas pendant des jours, j’ai raté aussi.

Mon premier roman, Sonate en fou mineur, a été finaliste au prix de la relève Archambault.

On écrit pour créer les romans qu’on adorerait lire et qu’on n’arrive pas à trouver.”

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L’éloignement mène à la proximité. Le particulier mène à l’universel.”

C’est en se noyant dans une autre culture qu’on touche à ses racines.”

Lire un bon roman, c’est voir le monde à travers les yeux d’un autre. L’espace d’une histoire, on devient psychopathe ou sorcier, kapo nazi, juif persécuté, lesbienne malheureuse ou prêtre sadique. Ça aide à comprendre les autres. L’intelligence est un muscle et lire en augmente la force.”